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January 16, 2014

Visite des membres du REJEA au Barrage de Kandadji : Porter la voix des populations durement affectées

Ousmane Dambadji (Niger)

Depuis les années 2000, l’Etat Nigérien a adopté et mis en œuvre le Programme intégré de gestion des ressources naturelles du bassin du Fleuve  Niger, sous l’appellation « Programme Kandadji pour la Régénération des Ecosystèmes et de Mise en valeur de la vallée du Niger ». Ce programme, très ambitieux et stratégique va permettre au Niger de se doter d’un barrage et des ouvrages annexes, l’aménagement, l’appui à la mise en valeur d’un périmètre irrigué de 45 000 ha et la construction d’une centrale hydroélectrique.

Les journalistes au cours de la visite

Les journalistes au cours de la visite

L’objectif global du Programme est de contribuer à réduire la pauvreté grâce à la régénération naturelle, l’amélioration de la sécurité alimentaire et la couverture des besoins en énergie.

La construction de ce barrage est aussi une source d’espoir pour les populations de la région de Tillabéry en particulier et celles du Niger en général. Cependant, il reste indéniable que la construction d’un tel ouvrage engendre des perturbations sociales lourdes de conséquences.

Il se traduira dans ce contexte concrètement par le déplacement important d’une frange de la population de leurs lieux de résidences habituels vers d’autres lieux d’accueil : a cet effet, on dénombre 37.891 personnes (soit 5.170 pour la première vague et 32.721 pour la deuxième vague) pour un effectif total de 21 villages administratifs concernés et une centaine de hameaux qui leurs sont rattachés.

L’expropriation pour cause d’utilité publique et le déplacement involontaire des populations vivant à l’intérieur des limites des sites  entraînent aussi une désorganisation dans les localités avoisinantes, causant un manque à gagner considérables.

Parmi les biens expropriés aux communautés concernées figurent en bonne place, les terres de cultures constituant les moyens de subsistance essentiels pour les communautés riveraines. Pour compenser les communautés expropriées en nature ( la terre par la terre), il est prévu l’aménagement d’environ 6 000 ha de périmètres irrigués par l’Etat et leur rétrocession à ces populations. Selon la législation nigérienne, les terres aménagées par la puissance publique tombent dans le domaine public, c’est-à-dire deviennent la propriété de l’Etat. Elles deviennent de ce fait, selon la loi : insaisissables, inaliénables et imprescriptibles.

Or, sur les terres privées traditionnelles, un paysan dispose de tous les droits, il peut éventuellement, cultiver, laisser en jachère, vendre, donner ou louer, etc.

La Constitution de la 7ème République du Niger et la loi N°61-37 du 24 novembre 1961 modifiée et complétée par la loi N°2008-37 du 10 juillet 2008, réglementant l’expropriation pour cause d’utilité publique et l’occupation temporaire, dispose que l’expropriation n’est possible que dans les conditions d’une juste et préalable indemnisation.

Cette disposition bien que claire a suscité des interrogations des partenaires ainsi que le programme Kandadji et ses partenaires s’interrogent sur :

–         comment garantir aux populations une indemnisation juste sur des terres du domaine public ?

–         Suivant quelle formule juridique, ces terres seront données en compensation aux populations ?

–          Et quels seront les droits que celles-ci vont y exercer ?

Donc, le statut foncier des terres aménagées données en compensation des terres expropriées devient alors un enjeu incontournable dans le processus Kandadji.

Pour aborder cette question, une première étude a été réalisée en 2012 avec l’appui du consortium composé de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et de l’Institut International pour l’Environnement et le Développement (IIED) qui met en œuvre la « Global Water Initiative » (GWI), en partenariat avec le Haut Commissariat à l’Aménagement de la Vallée du Niger (HCAVN). Les résultats d’analyse ont été partagés et validés avec les acteurs locaux à Tillabéri et les membres du Comité Technique de Coordination du Programme Kandadji à Niamey en juillet 2012.

Des recommandations de la mise en œuvre focalisées sur les notions de « compensation juste » ont été élaborées sur des critères objectifs pouvant garantir la justesse de l’indemnisation, et sur les conditions de la sécurisation des investissements publics. Les propositions essentielles se résument comme suit :

–         Le déclassement des terres concernées du domaine public au domaine privé de l’Etat pour rendre possible l’exercice du droit de propriété par les populations affectées ;

–         La concession rurale est une convention par laquelle l’Etat concède à un particulier (individu ou société) l’exploitation d’un terrain pouvant déboucher sur l’établissement d’un titre définitif de propriété sur ledit espace. Elle est prévue par les articles 19 et suivants de l’Ordonnance N°59-113/PCN du 11 juillet 1959 portant réglementation des terres du domaine privé de la République du Niger. Elle peut être accordée pour les besoins d’exploitation agricole, forestière et fermière (Article 2) ;

–         Le bail emphytéotique qui est en quelque sorte un contrat à long terme sur la base d’un cahier des charges à respecter par l’exploitant.

 

Il ressort de concertations engagées avec les acteurs aussi bien au niveau local que national, que l’option du bail emphytéotique se dégage comme une solution qui semblerait la plus appropriée dans le contexte actuel du barrage de Kandadji, afin de répondre au principe légal et constitutionnel de la compensation juste.

 

Il faut souligner que suivant l’ordonnance N°59-113/PCN du 11 juillet 1959 portant réglementation des terres du domaine privé de la République du Niger), le bail emphytéotique est un contrat de longue durée, généralement conclut pour une durée de 18 à 99 ans. Il confère à son bénéficiaire un droit réel sur l’immeuble. L’intérêt qu’il présente  lors de l’attribution des terres est de satisfaire les deux parties (expropriant et exproprié) car, il garantit à l’exproprié une exploitation (utilisation) du terrain sur une longue période avec des droits presque comparables au droit de propriété (cessibilité, transmission à titre successoral, etc.) et permettra aussi à l’expropriant de réaliser des investissements importants sur l’espace suivant un cahier des charges définissant les obligations réciproques des deux parties. Par conséquent, il était nécessaire de définir de façon claire et exhaustive tous les contours du bail emphytéotique.

 

Fidèle à son engagement de plaider pour le bien-être des populations Nigériennes, le Réseau Nigérien des journalistes pour l’eau, hygiène et l’assainissement (REJEA) a effectué une visite de travail sur les sites concernés par le déplacement des populations. Cette visite, la troisième du genre a pour objectif de s’enquérir des dispositions prises par l’Etat et ses partenaires pour assurer  une bonne  réinstallation des populations sur  des nouveaux sites. A cette occasion, le REJEA a relevé des insuffisances dans le processus. Cette remarque s’est révélée à travers le doute qui plane sur le bail en question. Récemment, des équipes de sensibilisations sont passées sur les sites pour expliquer aux populations les tenants et les aboutissants d’un bail emphytéotique.

Là aussi, des erreurs graves ont été relevées. Par exemple, selon des témoignages, la première tournée de sensibilisation a indiqué que tous les chefs de ménages bénéficieront de parcelles exploitables. La seconde contredit la première, en déclarant que seuls les chefs de familles ont droit aux parcelles. Or, une maison peut réunir 3 à 5 chefs de ménages sous la direction d’un chef de famille et un ménage peut compter 5 personnes .

 

En plus de ces problèmes, les habitants d’Ayérou ont manifesté leur incompréhension et mécontentement dans la gestion des lotissements. Le Chef de canton, l’honorable Amirou  Mohamed Abéchir Yacouba a insisté sur l’équité et la transparence dans l’octroie des contrats. Il a par ailleurs un vibrant hommage au REJEA pour le plaidoyer qu’il mène dans le processus de la mise en œuvre  des activités de réinstallation des populations affectées par la construction du barrage.