Archive for September, 2013

September 17, 2013

Equité et inclusion dans l’accès à l’hygiène et à l’assainissement : Les acteurs africains appellent à une révolution des mentalités à Dakar

Alain TOSSOUNON (Dakar)

Face aux inégalités d’accès aux toilettes et à la marginalisation de certains groupes dans le secteur de l’assainissement, le Conseil  de concertation pour l’eau potable et l’assainissement (Wsscc), a initié une session de formation sur l’équité et l’inclusion à Dakar du 14 au 15 septembre. Après un bilan sombre et un diagnostic accablant en matière de discrimination dans le secteur de l’assainissement malgré les progrès de ces dernières années, les participants ont à l’unanimité, lancé un vibrant appel pour  plus d’amour pour les personnes laissées-pour-compte dans l’accès aux services d’assainissement.

Hand wash« En tant que femmes handicapées, l’accès aux toilettes est assez difficile pour nous. Parce que les bâtiments ne sont pas souvent accessibles. Et les femmes sur chaises roulantes face à une porte étroite, sont obligées de ramper  pour faire leurs besoins avec tout ce qu’il y a comme risques d’infections et de fractures ». C’est le cri d’alarme de Ndèye Dagué Gueye, femme handicapée par ailleurs, Présidente nationale du Comité des femmes de la Fédération sénégalaise des Associations des personnes handicapées du Sénégal. Dans ce pays comme partout ailleurs dans le continent africain, la réalité des femmes, des handicapés, et autres groupes marginalisées,  est la même en ce qui concerne l’accès aux toilettes. « Vraiment c’est dur », s’est-elle alarmée à l’ouverture de la session ouverte au profit des acteurs du secteur, venus des pays de l’Afrique de l’ouest et du centre. Moment important surtout pour ces femmes handicapées qui ont été invitées aux échanges, cette session vise essentiellement à « partager des approches novatrices pour assurer l’équité d’assainissement et d’hygiène en Afrique, en particulier la gestion de l’hygiène menstruelle (MHM) et le handicap, les adolescents et les personnes âgées. Mais aussi, d’« améliorer les compétences et les approches sur l’application pratique des concepts d’équité et d’inclusion ».Enfin, cette session permettra d’explorer les voies et moyens pour faire avancer  la question de l’hygiène menstruelle dans les politiques et les pratiques à grande échelle en Afrique.

Après avoir fait une brève introduction sur le WSSCC qui s’emploie à faire résonner la voix de la société civile, Archana Patkar du Wsscc, a rappelé les trois axes d’intervention de cette institution, le plaidoyer et la communication, la gestion des connaissances et pratiques et la mobilisation de la volonté politique dans le secteur WASH. « Au WSSCC, nous pouvons aller là où les autres n’osent pas aller et travailler sur des sujets sur lesquels les gens ont besoin de connaissances », a-t-elle précisé.

Revenant sur le thème de la session de formation, elle a martelé que « l’équité et l’inclusion sont non négociables ».Tout simplement au regard des situations d’inégalité et de marginalisation que connaissent les personnes exclues que sont les femmes, des jeunes, des handicapées, les personnes âgées.

Ndèye Dagué Gueye, Pdte nationale du Comité des

femmes  handicapées du Sénégal

 

Un état des lieux insupportable

Dans un exercice de réflexion, les participants ont identifié les problèmes sur les différents types de barrières. Au titre des barrières sociales, on note le manque de participation des femmes à la prise de décision, l’insuffisance d’intimité dans la conception et la localisation des toilettes, l’insécurité…Mais, il y a aussi les barrières institutionnelles relatives  au  vide juridique dans certains pays en ce qui concerne les personnes handicapées, l’absence de suivi des politiques lorsqu’elles  existent, l’absence de ressources…Sur le plan technique, il y a l’inaccessibilité aux ouvrages pour les personnes âgées ou handicapées et même des femmes enceintes, l’absence d’infrastructures adaptées…

Avant tout, il faudra s’attaquer aux tabous et pesanteurs sociologiques qui encouragent des comportements discriminatoires. C’est le cas encore dans certains us et coutumes où les femmes non mariées n’ont pas droit aux toilettes.

Face à cette litanie de problèmes, les témoignages des acteurs sont édifiants et les réactions révélatrices des situations d’inégale accès aux services d’assainissement dans tous les pays.  Et, pour les uns comme pour les autres, les problèmes sont à tous les niveaux. En premier, les politiques et les stratégies qui ne font aucune place aux groupes marginalisés sont pointés du doigt. «Pour les politiques, ces questions ne sont pas prioritaires. Ce sont la construction des classes et écoles qui les préoccupent », s’insurge,  Boureima Tabalaba du Mali.Vue des participants 2

A l’image de l’exercice d’identification des problèmes, les participants ont aussi recherché dans les groupes de travail, des approches de solution : Renforcement de capacités, campagnes de plaidoyer, implication des chefs traditionnels, mise en place des cadres de concertation, élaboration et mise en œuvre  de politiques et stratégies adéquates…Plus intéressant, les acteurs qui sont restés pro-actifs durant les travaux ont également recherché des exemples de bonnes pratiques dans les pays malgré ce contexte sous régional peu propice à la prise en compte des laissés-pour-compte de l’assainissement. Il s’agit par exemple de la construction d’ouvrages adaptés aux personnes âgées en Côte d’Ivoire ou au Burkina-Faso, de la réalisation de toilettes pour les filles dans les écoles pour favoriser  l’hygiène menstruelle…

Aujourd’hui, pour tous les acteurs réunis, il faut intensifier la sensibilisation. « Le plaidoyer doit se faire partout, constamment et envers tous », a martelé l’un des participants.  « Tant qu’on ne prend pas en compte les personnes marginalisées, toute notre lutte pour l’accès de tous à l’assainissement sera vaine », Mariam Traoré de l’Unicef Mali.

Photo equite washjn

Au total, il faut pour changer les choses, une révolution des mentalités. Dans cette entreprise, toutes les parties prenantes sont concernées. Si les acteurs politiques sont visés dans le manque d’élaboration des lois favorables et la faible mobilisation des financements, les partenaires au développement doivent aussi changer de perception. C’est ce que soutient la Directrice régionale de Wateraid Sénégal, Marième Dème, « Nous avons beaucoup failli. L’inclusion et l’équité devraient être là depuis ». Parce qu’argumente-elle, « on ne peut pas parler de développement durable si on n’est pas inclusif ». Mais, elle prévient également « il ne faudrait pas que l’inclusion et l’équité soient comme les questions de genre, où chacun inscrira dans son programme pour chercher le financement et en faire un effet de mode ».

Ainsi, loin d’être un effet de mode, la recherche d’équité et d’inclusion en matière d’accès à l’assainissement, est une question de justice sociale. Et, après plus d’une décennie de silence coupable, l’heure a désormais sonné et le moment plus que jamais venu de changer les choses pour le bien-être de tous. Car, « on ne peut plus l’accepter », a conclu Archana Patkar.

 

September 17, 2013

Marième Dème, Directrice régionale de Wateraid pour l’Afrique de l’Ouest : « Au 21e siècle, il n’est pas acceptable qu’une personne ne puisse pas avoir des toilettes pour avoir la dignité et la santé»

Photo Marieme Deme washjnBrave militante du secteur de l’eau et de l’assainissement et engagée dans ce secteur vital depuis plusieurs années, Marième Dème qui est à la tête de Wateraid au Sénégal présente dans 7 pays de l’Afrique de l’ouest,  s’est prononcée en marge des réunions sous régionales en prélude à la conférence AfricSan 4. Si l’amazone sénégalaise et africaine apprécie la tenue de ces rencontres, elle a partagé sa conviction que dans le monde des possibles aujourd’hui, on devrait enregistrer plus de progrès. Sans détour, elle pointe du doigt le manque de volonté politique, la mauvaise gouvernance  démocratique avant de marquer son optimisme pour  le secteur Wash et notre cher continent.

Selon vous, quel est l’intérêt  des réunions sous régionales  dans le cadre de AfricaSan 4 qui se tiendra l’année prochaine à Dakar ?

Je pense que c’est une excellente initiative d’avoir organisé ces rencontres sous régionales de revues des progrès, des défis et des définitions de plans d’ici 2015, avec une étape importante qui est la conférence sur l’assainissement qui sera organisée à Dakar. On peut toujours se demander à quoi servent toujours toutes ces réunions.  Je viens de rentrer de la semaine mondiale de l’eau à Stockholm qui a porté sur la coopération. A ce rendez-vous annuel, on s’est posé la question de savoir si effectivement, on est en train de coopérer. Parce que si on veut transformer la réalité qui n’est pas tellement reluisante, de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, on doit absolument travailler ensemble. Mais, il ne s’agit pas seulement de travailler ensemble, c’est de bien travailler. Nous ne pouvons pas bien travailler ensemble si chacun de nous ne connaît pas la réalité dans les pays où nous intervenons. Et, si nous n’avons pas une vision partagée et des connexions qui se construisent sur la valeur ajoutée de chacune des institutions, nous ne pouvons pas avancer. Alors, je pense que nous ne l’avons pas fait AfricaSan 3 et là,  nous avons appris du processus passé.

Est-ce que vous avez le sentiment avec l’organisation de ces réunions qu’il y a des progrès dans les pays?

On avance. Mais peut-être pas au rythme auquel, nous devons avancer pour pouvoir atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement de 2015. Il faut toujours se rappeler que les OMD ne concernent que la moitié de la population. Donc,  il y a l’autre moitié que vous n’avez pas encore considérée. Je suis convaincu que c’est dans nos possibilités aussi bien pour les décideurs politiques, les ressources et même l’expertise. Nous avons des moyens, dans ce 21e siècle d’atteindre nos objectifs. Si on n’en est pas encore là, c’est parce qu’il n’y a pas suffisamment de volonté politique. Cette volonté politique ne consiste pas à dire qu’on se donne des objectifs et on promet de le faire. C’est surtout la mise en œuvre de cette volonté politique. On ne croira quand on verra. Donc, c’est bon de définir des stratégies, de s’engager à consacrer 0, 5 % du PIB à l’assainissement mais il reste que dans certains pays, nous n’avons même pas de ligne budgétaire consacré à l’assainissement.

L’autre problème, c’est la capacité. Ce n’est pas la capacité technique. Aujourd’hui, même si l’expertise n’est pas disponible au niveau local, il y en a dans le monde. Et cette expertise est accessible. Mais, si cette expertise n’est pas identifiée ou ce besoin d’expertise n’est pas identifié, pour aller trouver, cela est un autre problème. Le problème, c’est comment utiliser l’expertise disponible pour répondre à tous les besoins. Il y a aussi la question de la gouvernance qui est importante. Et cette question de gouvernance, souvent on se focalise sur la gouvernance des ressources financières. A mon avis, c’est important, mais ce n’est pas la seule gouvernance. Il y a la gouvernance démocratique, qui décide ? Qui est informé ? Qui participe à la définition des solutions. J’ai écouté quelqu’un dans le cadre d’un recrutement, dire que l’on regarde les populations comme des bénéficiaires et non pas comme des acteurs. Si on est d’accord que les solutions seront construites par tous, la communauté a un très grand rôle à jouer. Je fais partie de ceux qui croient à l’ingéniosité humaine. Nous avons des ressources humaines en Afrique de l’Ouest capables de trouver des solutions. Maintenant, est-ce qu’il y a la volonté politique, les instruments juridiques, les processus qui permettent une bonne gouvernance des ressources, à la fois démocratique,  et technique. Malgré tout, je crois qu’il faut être positif. Il faut transformer les problèmes et les défis en solutions. Il faut avoir cette démarche. Nous sommes en retard par rapport à l’eau et à l’assainissement parce que nous ne mettons pas l’argent là où il faut travailler. Je pense que l’assainissement, lorsque l’on regarde par rapport à l’éducation, à la santé, à l’agriculture, il n’est pas acceptable qu’une personne ne puisse pas avoir des toilettes pour avoir la dignité et la santé. Nous avons la responsabilité de le faire maintenant.  Wateraid est engagé dans cette réflexion pour trouver des solutions.

Quelle lecture faites-vous des priorités pour l’après 2015 ?

Souvent la priorité qui est vue, c’est l’agriculture. Que cela soit, la Guinée ou le Ghana. Je dis que le développement est un tout. Pour une question fonctionnelle, on sectorise, mais vous ne pouvez pas réfléchir pour l’accès à l’assainissement sans le remettre dans le contexte global. Maintenant, on parle des Objectifs du développement durable. Il est important de revenir à l’interdépendance de tous les secteurs. Mais il y a des secteurs clés ou si vous injectez des ressources, cela peut faire tache d’huile. Et le secteur de l’assainissement est un de ces secteurs. Parce qu’il faut considérer par exemple, la contribution des femmes à l’économie. Si les femmes sont malades donc elles ont moins de temps à consacrer à leurs activités. Donc moins de temps de fixer des objectifs.

C’est bon que nous ayons des objectifs pour le secteur de l’assainissement. Ce n’est plus un objectif plus large. Cela est extraordinaire. Il s’agit de voir également la rentabilité en investissant dans l’assainissement. Il y a une expérience de Corée qui montre depuis le 14e siècle que les populations avaient un système de collecte des urines pour les utiliser dans l’agriculture. Cela est important de considérer tout cela pour mobiliser davantage les énergies et les investissements.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus des questions d’équité et d’inclusion dans le secteur WASH et notamment en matière d’assainissement. Pourquoi il est important de rechercher une prise de conscience par rapport à ces questions ?

Nous avons même failli. L’inclusion et l’équité devraient être là depuis. Mais en fait, ma conviction, c’est qu’on ne peut pas parler de développement durable si on n’est pas inclusif. Ce n’est pas possible. Nous ne pouvons pas être efficaces dans les résultats si on ne considère pas les différentes composantes dans leur besoins et dans leurs apports. Donc, maintenant, par rapport à l’assainissement, les populations à risque, sont les femmes. Il y a une corrélation entre l’absence de latrines séparées, filles et garçons,  sur le taux de fréquentation des filles et sur leur maintien à l’école. Si les filles ne sont pas maintenues c’est un peu plus la moitié qui n’est pas dans l’éducation. Il ne faudrait pas que l’inclusion et l’équité soient comme les questions de genre, ou chacun inscrira dans son programme pour chercher le financement et en faire un effet de mode. Il faut aller au-delà de cela. Il faudra comprendre pourquoi l’inclusion. Cela nous permet d’être plus efficace dans la promotion d’un développement durable pour nos pays.

                                                          Entretien réalisé par Alain TOSSOUNON et Idrissa SANE