Félix Adégnika: «Il faut briser tous les tabous d’exclusion liés à l’hygiène menstruelle»

Félix ADEGNIKA, Coordonnateur national Wsscc-Bénin

La question de l’hygiène menstruelle est encore un tabou dans notre société et les écoles ne sont pas préparées à faire face à la problématique lorsque les menstrues surviennent. Dans cet entretien, le Coordonnateur du Conseil de concertation pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement (Wsscc) dont l’organisation travaille sur cette problématique, lève un coin de voile sur la situation dans les établissements scolaires avant de proposer des pistes de solution pour que le Bénin encore en retard, rejoigne les pays de la sous-région qui ont fait de cette problématique, une priorité.

Que savez-vous de la gestion de l’hygiène menstruelle dans nos écoles au Bénin?

La problématique de la gestion de l’hygiène menstruelle est une problématique mondiale. D’ailleurs, la communauté internationale a vu l’importance de cette thématique en l’inscrivant dans les Objectifs de développement durable (Odd 6.2)  en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles et des personnes en situation vulnérable. Là où on parle d’équité et de la non-discrimination. Au plan mondial, les adolescentes surtout, perdent 4 à 5 jours d’école par mois. C’est une perte énorme. Une récente étude de la Fondation Claudine Talon a montré que 13% des cas d’abandon des filles dans les cours du primaire pour 50% sont liés à la question de la gestion de l’hygiène menstruelle et pour deux raisons fondamentales : la première, c’est les railleries, qui comptent pour 30%, et pour 70% les malaises  que les filles ressentent. Dès que la fille est tâchée à l’école, et les filles sont de plus en plus précocement réglées, les autres garçons pensent qu’elle « a fait voyou », et elle file droit à la maison, parce que les mamans, n’ont pas préparé les filles à connaître leur corps, à savoir que ça peut arriver à tel moment, et les dispositions qu’il faut prendre. On perd beaucoup de filles qui ne viennent pas à l’école pendant 5 jours et après, abandonnent l’école. Vous voyez tout ce que ça pose comme problème pour le maintien des filles à école ?  La deuxième raison, dans la communauté, c’est encore plus grave. Une femme qui a ses règles ne peut pas faire à manger à son mari ; elle ne peut même pas dormir près de son mari. Il faut briser tous ces tabous d’exclusion qui causent d’énormes préjudices au bien-être social.

Que peut-on faire pour briser les tabous?

A dire vrai, le Bénin est encore en retard par rapport à cette problématique parce qu’il n’y a pas encore de position officielle. Une bonne partie des ONG qui interviennent le font de façon isolée. La première structure qui s’en occupe au Bénin et dont on peut parler, c’est la Fondation Claudine Talon. Mais, Catholic relief service par le passé a fait une étude qui a montré l’importance de la question. Il n’y a pas de position officielle. Wsscc est en train de proposer un plan d’action pour 2019. Nous en avons discuté avec la première dame à qui nous avons demandé de parrainer cet événement. On veut même lui proposer d’être l’ambassadrice de la gestion de l’hygiène menstruelle au Bénin. Nous allons avoir, probablement vers la fin mai 2019, un dialogue des parties prenantes. Tous ceux qui interviennent dans le secteur vont se mettre autour d’une table pour faire la cartographie des interventions ; la cartographie des acteurs pour mesurer l’importance de la problématique. De cette rencontre on va sortir une feuille de route. Nous avons des idées par rapport à ce que Wsscc a fait au Sénégal, au Cameroun, au Niger et qui a porté des fruits.  Nous sommes en train de courir pour trouver d’autres partenaires, Unicef, Plan Bénin…pour qu’on puisse aller ensemble à ce dialogue afin d’élaborer la feuille de route. Pour le moment, on a assuré le financement de cette table ronde mais on n’est pas sûr de pouvoir couvrir les charges qui vont découler de la feuille de route que le Bénin va élaborer. Notre objectif, c’est d’attirer l’attention sur le sujet, de faire en sorte que la gestion de l’hygiène menstruelle puisse rentrer dans les politiques et les stratégies de développement. Vous avez vu ce que ça entraîne au niveau des écoles, au niveau des enfants, au niveau de la famille. On n’a pas fait une étude sérieuse pour mesurer l’importance économique et sociale du phénomène. Mais, il faudra le faire pour prendre conscience. Le deuxième point de l’action que nous envisageons de faire, c’est ce que les anglophones appellent le « TOT» (Training of trainers) en français « formation des formateurs ». Nous voulons avoir une masse critique de personnes qui sont déclenchées (journalistes, universitaires, acteurs de la société civile…), qui seront sensibilisées sur le sujet. On va avoir les experts d’Onu Femmes, les experts de Wsscc qui viendront de Genève et des pays africains qui ont déjà fait l’expérience et qui viendront nous former pour qu’on puisse retourner sur le terrain, au niveau infra national, au niveau communautaire pour pouvoir remuer la question. Notre souhait est que l’Etat puisse prendre conscience de cette problématique pour pouvoir l’intégrer. Cela n’existe nulle part. On a dû forcer pour qu’on puisse la mettre dans la stratégie nationale de promotion de l’hygiène et de l’assainissement de base. C’est juste marqué ‘’la Gestion de l’hygiène menstruelle est une préoccupation’’. On ne l’a pas déclinée en plan, en activités, en plan d’actions avec un financement précis pour adresser le problème. On va faire vers la table ronde des parties prenantes, on va faire la formation des formateurs qu’on veut leur proposer de mettre dans le plan d’actions. Si cela est retenu dans le plan d’actions, Wsscc pourra financer en cherchant des partenariats ; après on va organiser une table ronde de haut niveau pour amener les bailleurs de fonds à financer la feuille de route. La première dame a une idée claire dans sa tête, elle est très engagée sur les questions d’hygiène menstruelle et on peut compter sur elle.

Mais, il y a le problème du manque d’infrastructures adéquates  dans nos établissements scolaire pour faire face à la situation…

C’est un tout. Aujourd’hui, on dit que 89% des écoles sont dotées de latrines. Théoriquement, les latrines sont là mais, pour la moitié, ces latrines-là ne sont pas fonctionnelles, pour la moitié elles ne sont pas sexo-spécifiques. Dans une école, vous avez peut-être deux blocs mais un bloc est réservé aux enseignants et c’est un seul bloc qui est réservé à près de 300 élèves. Les gens font la queue, ceux qui ne peuvent pas supporter 15 minutes d’attente vont déféquer à l’air libre. Le plus grave, c’est les filles qui ont leurs règles. C’est très difficile pour elles de pouvoir se changer. Dans notre tête, et compte tenu de ce qu’on a fait dans les autres pays, nous savons ce qu’il faut faire mais on ne veut rien imposer au Bénin. Au Sénégal par exemple, dans chaque école on a des pairs/paires éducateurs/éducatrices. Dès que la fille a ses règles, elle va voir cette personne qui la prend en charge. Dans les écoles, on met à la disposition des filles, des kits qu’on appelle ‘’coin Ghm’’ où on sait que la fille peut se changer rapidement, qu’elle peut être prise en charge rapidement si elle a des malaises. Vous savez, les problèmes sont énormes et malheureusement ne sont pas adressés. Moins de la moitié des écoles, surtout en milieu rural ont un point d’eau. Pour se changer, pour se laver, il faut de l’eau propre. Il faut inclure cela dans une stratégie et j’aimerais qu’on puisse aller vers cela mais je ne peux rien vous dire aujourd’hui. C’est le Bénin qui va choisir sa voie. Si on se met autour de la table et qu’on discute, on va pouvoir gérer ce qui va en découler.

Propos recueillis par Alain TOSSOUNON

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