Aujourd’hui encore, dans plusieurs quartiers et villages du Bénin , les populations vivent dans une insalubrité chronique et de mauvaises conditions d’hygiène. Enormes sont les conséquences sur la santé de ces populations condamnées à payer cher pour se soigner. L’assainissement et l’adoption des bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement demeurent un luxe chez de nombreux individus.
Alain TOSSOUNON (RJBEA/Bénin)
Nous sommes dans le 6ème arrondissement de la plus grande ville du Bénin. A quelques encablures de la voie pavée traversant le quartier Sainte Cécile, le passage devient de plus en plus étroit. Au fur et à mesure, en contournant les flaques d’eau après les récentes pluies, on plonge dans une volute d’odeurs fortes qui ne vous escortent sur une vaste étendue e d’habitats précaires.
Entre les déchets ménagers posés çà et là, partout et autour des habitats coincés les uns contre les autres, des enfants jouent le long des petites ruelles jonchées de débris d’aliments et de sachets plastiques. Non loin, d’autres tentent vaille que vaille, de se frayer un espace dans un dépotoir sauvage pour déféquer sous le regard bienveillant de leurs parents spectateurs. Ici, on s’accommode avec les ordures : l’insalubrité est la règle. Quelques pas de plus suffisent pour nous retrouver au bord de la lagune. Mais, difficile de poursuivre notre marche avec les déchets mis en dépôt qui longent toute la lagune derrière les habitats. Toutes les berges lagunaires de Cotonou de l’ouest à l’est, offrent le même spectacle affolant d’insalubrité. «Nous n’avons nulle part ici où mettre les ordures. Il n’y a aucun point de collecte», justifie Damien MISSIHOUN, un habitant du quartier Ladji. . Et, sans qu’on lui pose la question, il déballe : «Il y a aussi le problème de manque de latrines. Ici, des gens défèquent dans des sachets et les jettent partout parce qu’ils ne savent où aller au coin».
Dans ce grand quartier de Cotonou, l’insalubrité est la chose la mieux partagée. Mais le plus grave, c’est le fatalisme de tous les habitants. Installé à la devanture de sa maison, lui-même au cœur de tas d’ordures de toutes sortes, le chef quartier de Ladji, Antoine Agossou TCHINA, n’est pas gêné de compter son quartier comme l’un des plus insalubres de Cotonou, . «Le quartier Ladji est sale et puisque nous n’avons pas les ONG de pré-collecte, on jette nos ordures n’importe comment et n’importe où», déclare-t-il.
De même, avec seulement 4 latrines privées et une seule latrine publique pour tous les 100 000 habitants de ce quartier, la défécation à l’air libre ne peut qu’être le sport favori de la localité. «Je reconnais que les gens défèquent ici n’importe comment. Ils le font à la fois dans le lac et sur la terre ferme. Surtout nos enfants !», souligne-t-il avec une pointe d’amertume. Le drame de Ladji se joue aux yeux des autorités locales et surtout des responsables sanitaires restés impuissants face à l’absence d’un système de ramassage des ordures, de latrines et de caniveaux.
Un lourd fardeau sanitaire
Empêtrés quotidiennement dans une insalubrité sans nom , les habitants du quartier Ladji comme tous ceux situés le long des berges lagunaires, font face chaque jour aux conséquences qu’engendre une telle situation.
Selon Flore Viviane Ogoubiyi Aklassato, directrice départementale de la santé de l’Atlantique/Littoral (DDS), , les liens entre l’insalubrité et les maladies du péril fécal sont étroits : «Lorsque l’hygiène et l’assainissement font défaut et partout où il y a insalubrité, cela constitue un sérieux problème de santé pour les populations».
A Ladji, le péril est dans tous les ménages. «Il se pose ici de grands problèmes sanitaires», réagit sans détour le Docteur Théophile HOUNHOUEDO, médecin en santé publique, directeur exécutif de La vie nouvelle ONG qui a un centre médico-social en plein cœur de Ladji. Et de signaler que «la plupart des maladies rencontrées ici sont liées au péril hydro fécal». Notamment, il cite les maladies diarrhéiques dont le choléra et les infections respiratoires aigues. Mais, ce n’est pas tout, il va plus loin en indiquant que « le Paludisme e est le premier motif de consultation à Ladji vu les marécages et les moustiques qui pullulent». Le paludisme au niveau des départements du Littoral et de l’Atlantique constitue environ 33% de la fréquence des maladies, selon les chiffres de la DDS. «C’est le paludisme qui nous attaque très souvent. A part cela, il y a les diarrhées et vomissement et d’autres maladies pour lesquelles nous allons à l’hôpital», renchérit Claude Dohougbo, pêcheur de son état, qui, le visage triste et larmoyant , raconte avoir perdu l’un de ses 8 enfants à la suite d’une diarrhée chronique. Un souvenir douloureux mais ne l’a cependant pas encore obligé à quitter les lieux. «Très souvent, les gens meurent. Surtout nos frères qui sont au bord de l’eau. C’est des pertes énormes que nous connaissons. On enregistre beaucoup de cas», ajoute, le chef du quartier, la rage au ventre. Autre témoin de la situation, le Docteur Théophile HOUNHOUEDO, avoue que plusieurs cas graves sont souvent transférés dans les hôpitaux de référence. «Le centre que nous avons ici, c’est un centre de premier niveau. Avec les cas graves, lorsque nous voyons que nos capacités sont dépassées, nous référons tout de suite, soit vers le CNHU, soit vers l’hôpital de zone ou les hôpitaux tels que Bethesda ou Saint Luc». Dans ce quartier de Ladji, tristement célèbre pour son insalubrité, la mort côtoie est devenue familière par manque d’hygiène et d’assainissement Mais malheureusement au Bénin, Ladji n’est pas qu’un cas isolé.
Selon les chiffres du Programme Eau et Assainissement de la Banque Mondiale, «Environ 7000 Béninois, notamment 4300 enfants de moins de 5 ans, meurent chaque année de diarrhée : ces décès sont à presque 90% directement attribués à l’impureté de l’eau et au manque d’assainissement et d’hygiène (WASH)». Et d’ajouter que le mauvais assainissement est un facteur contributif, de par son impact sur les taux de malnutrition, aux autres causes principales de mortalité infantile, notamment le paludisme, les maladies respiratoires graves et la rougeole.
Malheureusement, ces populations pour la plupart pauvres, doivent encore débourser beaucoup d’argent pour se faire soigner.
Des coûts économiques énormes pour le Bénin
Au-delà du lourd fardeau sanitaire, la situation d’insalubrité et le manque d’assainissement coûtent très cher aux populations et à notre pays tout entier.
Selon l’étude sur le gain socioéconomique de l’investissement dans l’assainissementau Bénin réalisée par l’Agence panafricaine pour l’Eau et l’Assainissement (EAA, ex CREPA) en juillet 2009, dans les ménages ayant bénéficié des actions de la PHA, les gains en termes monétaires par rapport aux soins de santé sont estimés à 37000 FCFA par ménage et par an lorsque la prise en charge est immédiate.
Ramenée au plan national, l’étude révèle que «si tous les ménages sont pourvus de latrines adéquates, les gains sont estimés à 2985807500 FCFA par an. En termes de gain de temps, c’est au moins 56 jours gagnés par chaque ménage et par an sur les jours passés à l’hôpital. Pour le Bénin, ce gain de temps est évalué à 45190600 jours qui auraient pu être investis dans des activités génératrices de revenus et dans l’éducation des enfants.
Au plan national, le taux de couverture des ménages en ouvrage d’évacuation des excrétas reste encore faible en 2012. Selon l’Aide Mémoire de la dernière revue des secteurs Eau et Assainissement 2011, ce taux est encore de 42% (Source DPP/MS).
L’étude documentaire faite par le Programme Eau et Assainissement (WSP) de la Banque Mondiale, vient confirmer davantage les pertes énormes relatives que subit notre pays face au manque d’assainissement.
En effet, selon cette étude réalisée en 2010, « le Bénin perd 52 milliards F CFA chaque année, ce qui est équivalent à 104 millions $, Cette somme est équivalente à 12 $ par personne au Bénin et par an, ou 1,5% du PIB national». Un montant très élevé à première vue. Mais, l’étude va plus loin pour nous indiquer que 2,5 millions de Béninois utilisent encore des latrines insalubres ou partagées, 5,2 millions n’ont pas de latrines du tout et font leurs besoins en plein air. La défécation en plein air, quant à elle, selon la même étude, coûte au Bénin, plus de 75 millions $ par an – pourtant l’élimination de cette pratique nécessiterait la construction et l’usage de moins de 1 million de latrines.
A ces différents coûts, il convient d’ajouter ceux liés au temps mis pour trouver un endroit isolé pour déféquer (2,5 jours par ans et 21 millions $ de perte), à la mort prématurée (79 millions $chaque année), aux soins de santé (3,1 millions $ chaque année).
Mais ce n’est pas tout. Car, il y a lieu d’inclure également les coûts supplémentaires considérés comme significatifs tels que les coûts des flambées épidémiques, les coûts funéraires, les coûts des pollutions des eaux…
Par ailleurs, l’étude nous apprend que le poids économique d’un mauvais assainissement pèse beaucoup plus sur les pauvres. Ainsi, elle souligne que le coût moyen associé à un mauvais assainissement constitue une proportion beaucoup plus grande du revenu d’une personne pauvre que celle d’une personne plus riche. Tout simplement parce que les plus pauvres qui représentent 20% de la population (en moyenne), sont 25 fois plus susceptibles de pratiquer la défécation en plein air que les 20% des plus riches de la population. De ce point de vue, il est clairement établi que si les pauvres sont plus susceptibles d’avoir une mauvaise hygiène, ils doivent aussi payer proportionnellement plus pour faire face aux mauvaises conditions d’hygiène et d’assainissement.
Engager une thérapie de choc
Vivant dans le milieu et témoin du désastre sanitaire, le Docteur Théophile HOUNHOUEDO, du centre médico-social de Ladji, préconise sans détour en termes de solutions efficaces, la prévention. «La première chose qu’on peut faire, c’est la prévention. Si nous mettons l’accent sur la prévention, on peut corriger beaucoup de choses». Car soutient-il, «La plupart des maladies rencontrées ici, sont les maladies de comportement».
Il faut absolument, selon lui, “un bon programme d’éducation à la santé”. Un avis partagé par la Directrice départementale de la santé de l’Atlantique/Littoral qui martèle : «il faut intensifier l’éducation de la population, la communication pour un changement de comportements ». Avant de lancer un cri de cœur aux populations : « Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on ne pourrait pas avoir les habitudes élémentaires d’hygiène et d’assainissement. Cela contribuera à l’amélioration de la situation».
Et si elle soutient que ces dernières années, des efforts ont été entrepris dans le cadre des campagnes de sensibilisation pour la promotion d’une bonne pratique d’hygiène et d’assainissement, il y a lieu de ne pas baisser la garde.
En dehors de la communication pour un changement de comportement au niveau des populations, l’étude de la Banque Mondiale recommande d’allouer de grands investissements au secteur de l’assainissement. Un défi que, depuis plusieurs années, le Bénin peine à relever. Si selon les chiffres de la revue 2011 des secteurs eau et assainissement, il faut se féliciter de la hausse significative des ressources mobilisées au titre du budget de 2011 par rapport à celui de 2010 de l’hygiène et assainissement de base (soit 2,090 milliards de FCFA en 2011 contre 1,252 milliards de FCFA en 2010), le Bénin est encore loin des recommandations d’AfricaSan 2008. Car, quatre ans après, la part du budget propre du Ministère de la Santé (MS) allouée à l’Hygiène et l’Assainissement de Base n’a toujours pas atteint les 8% que recommande la Déclaration des Ministres à cette Conférence de Durban en Afrique du Sud. Malheureusement, il n’est actuellement que de 0,4% du budget global du Ministère de la Santé. De même, comme solutions, l’étude souligne la nécessité d’éliminer les goulots d’étranglement dans le mode de prestation de services, de cibler les plus pauvres pour mettre fin à la question d’iniquité sanitaire, et enfin, de prioriser l’élimination de la défécation à l’air libre.